Les géomètres-experts possèdent des connaissances et compétences techniques, juridiques, urbanistiques, environnementales et financières qui sont utiles pour accompagner les développements futurs des projets de villages d’habitats légers.
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Je suis enseignant-chercheur en géographie et en aménagement à Caen. À travers mes activités pédagogiques et de recherche, j’ai développé une expertise pour les formes d’habitats alternatifs et innovants. Que ce soit lors de conférences scientifiques ou lors de présentations auprès d’acteurs territoriaux et entreprises, mon objectif premier est de nouer du lien entre les milieux scientifique et professionnels autour d’un sujet précis.
Vous avez récemment travaillé sur la thématique des tiny houses. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ces nouvelles formes d’habitat ?
Mon appétence pour les habitats alternatifs prend sa source lors d’une année d’études aux Pays-Bas où j’ai pu observer in situ le développement de résidences étudiantes en conteneurs maritime. Le processus d’upcycling de la boîte métallique en logement m’a tout de suite convaincu. J’ai, par la suite, pu mener différentes recherches sur l’émergence de cette offre de résidences, aussi bien aux Pays-Bas qu’en France. C’est en examinant le développement de la construction hors-site que je suis tombé sur la construction des petites maisons en bois sur roues, les tiny houses. Depuis 2023, je conduis un projet de recherche sur l’émergence du mouvement tiny house en France (EMoTiF) dont l’objectif est de proposer une exploration globale de ce secteur en développement, des expériences de vie des habitants en tiny house, des contraintes réglementaires en urbanisme ainsi que de la réception de ce type de projet par les élus.
Selon vous, la tiny house est-elle avant tout un mode de vie alternatif, ou peut-elle constituer une véritable réponse aux enjeux actuels du logement et de l’aménagement du territoire ?
J’observe depuis le début de ma recherche en 2023 que le monde de la tiny house évolue très rapidement. Initialement portés par des particuliers souhaitant vivre dans un habitat correspondant plus fidèlement à leur philosophie de vie (minimalisme, décroissance, sobriétés surfacique et écologique, etc.), les projets de développement de tiny house se sont progressivement ouverts à de nouveaux acteurs (bailleurs sociaux, notamment) mais également à de nouvelles cibles : personnes en situation de sans-abrisme, foyers pour jeunes travailleurs, logements pour étudiants, hébergements touristiques, mais également auprès de professionnels proposant des services (salons de massage, toilettage et tatouage, bars et restaurants, etc.).
La crise du logement que nous connaissons depuis plusieurs décennies est profonde, tout en étant assez inégale en fonction de la géographie des territoires. Pour les territoires à forte tension dans le secteur du logement, prenons l’exemple de la Bretagne, de nombreux projets d’hameaux et/ou de villages d’habitats légers (tiny houses, yourtes, dômes, etc.) voient le jour depuis quelques années. Bien que ponctuels, ces projets d’habitats n’ont pas l’intention de résoudre la crise du logement à l’échelle nationale, mais de démontrer qu’il est nécessaire d’élargir la palette d’offres résidentielles tout en apportant des solutions spécifiques en fonction des besoins des territoires. C’est notamment le cas du village de tiny houses à Grand-Champ dans le Morbihan avec le développement d’un village de 29 tiny houses occupées par des personnes actives travaillant sur ce territoire. Enfin, de par sa caractéristique mobile et réversible, la tiny house n’est pas nécessairement vouée à s’ancrer sur un terrain, mais peut être amenée à être relocalisée en fonction des besoins et des parcours de vie des habitants, tout en ayant qu’une empreinte très limitée sur l’espace occupé.
Lors de vos échanges avec les géomètres-experts, quels points de convergence avez-vous identifiés entre votre approche de géographe et leur pratique de terrain ?
Appréhender finement un territoire et pouvoir produire de la donnée concernant les caractéristiques d’un terrain ou territoire font partie des points de convergence que j’ai pu identifier. Evidemment, la dimension du travail en extérieur et la nécessité d’arpenter les territoires étudiés représentent un point commun significatif.
Ces nouvelles formes d’habitat interrogent les cadres juridiques, fonciers et urbanistiques. Comment les géomètres-experts peuvent-ils, selon vous, contribuer à mieux les intégrer dans les politiques locales d’aménagement ?
Les projets de tiny houses sont très fréquemment bloqués lors de l’instruction des dossiers par les services de l’urbanisme. En effet, la tiny house n’étant pas considéré comme un logement et ses zones d’implantation étant très limitées dans les plans locaux d’urbanisme, de nombreux projets sont retoqués. Encore plus grave, la tiny house ne bénéficie pas d’une définition officielle, ce qui fait que ce type d’habitat ne rentre pas dans les cases des cadres juridiques et urbanistiques. Bien que de plus en plus d’élus sont sensibilisés à l’émergence des habitats légers, un travail de fond doit être poursuivi.
Or, les géomètres-experts représentent un rouage essentiel dans la planification territoriale, pour faire l’intermédiaire entre les élus, dans le cadre notamment de l’élaboration et de la révision des documents d’urbanisme, et également avec les habitants ayant des projets résidentiels. Ce rôle d’intermédiaire est important pour accompagner l’émergence de nouvelles formes de sobriété foncière et surfacique des logements. Enfin, que ce soit dans les secteurs de l’immobilier, du foncier, de l’aménagement et des diagnostics immobiliers, les géomètres-experts possèdent des connaissances et compétences techniques, juridiques, urbanistiques, environnementales et financières qui sont utiles pour accompagner les développements futurs des projets de villages d’habitats légers.
Plus largement, comment voyez-vous l’évolution des pratiques d’habitat en France, et quelle place pourraient y prendre les géomètres-experts comme acteurs de la connaissance du territoire ?
La conjoncture de la crise du logement et de l’augmentation des coûts énergétiques doivent nous amener à repenser en profondeur nos activités résidentielles et la configuration de nos habitats. La multiplication de projets d’habitat en tiny house tend à démontrer qu’un habitat qui répond davantage aux besoins essentiels des habitants plutôt qu’à des envies individuelles parfois superflues est possible. À cela s’ajoute l’introduction de la loi Climat et Résilience de 2021 et de l’objectif du zéro artificialisation nette d’ici à 2050 qui vise à limiter l’étalement urbain et la bétonisation des terres agricoles. Le développement des habitats légers, mobiles et réversibles s’inscrit pleinement dans ces objectifs de limitation de l’artificialisation des sols et de la préservation de la biodiversité. Il est fort possible que, dans le futur, les géomètres-experts soient de plus en plus sollicités pour accompagner les communes dans des études pré-opérationnelles en amont de l’installation de tiny houses tout comme les particuliers souhaitant faire de la densification douce à travers une division parcellaire de leur terrain pour y implanter un habitat léger.
Enfin, j’ai l’intime conviction que l’implication des géomètres-experts dans des projets d’habitats légers permettra de renforcer la légitimation du développement de ces projets et de casser les représentations erronées que de nombreux élus et habitants portent sur ces micro-habitats sur roues.
Alexis ALAMEL,
Maître de conférences en géographie à Sciences Po Rennes,
Enseignant-chercheur et expert en urbanisme

« Habitat léger : mode, révolution ou solution durable ? » – Alexis Alamel est intervenu en octobre 2025 auprès des géomètres-experts, lors des Rencontres Régionales de l’UNGE Bretagne.
