David Nicolas, géomètre-expert, emploie 55 personnes réparties dans sept agences. Rapporteur général du 46e congrès de l’OGE dont le thème était « Une profession face aux défis de la société », il défend la RSE comme une philosophie et un ensemble de moyens, qui, pour influencer la performance globale d’une structure, doit précéder la mise en œuvre de toute procédure de  labellisation. Entretien.

PROPOS RECUEILLIS PAR CATHY REULIER

 

Comment envisagez-vous la RSE dans votre structure ?

DAVID NICOLAS : Nous n’avons pas enclenché de procédure de labellisation RSE à proprement parler, mais plutôt une démarche de performance globale dans laquelle la RSE s’inscrit  naturellement, car elle fait partie de nos valeurs. En parallèle, je me tiens informé des réflexions de la commission ordinale dédiée à la RSE, présidée par Sébastien Cavillon. Charte, engagement,
label : tous types de référentiels sont à considérer.

L’idée n’est pas d’imposer un modèle standardisé, souvent pensé pour des entreprises plus grosses que les nôtres, mais de penser à un type de référentiel sur mesure pour nos cabinets et leur mode d’exercice, « matérialisable » au quotidien. Ce qui permettra de fédérer les petites entreprises autour de problématiques communes. Ce référentiel a été dévoilé lors du 46e congrès de l’Ordre des géomètres-experts (1).

Pour insérer mon entreprise dans une démarche collective, j’entends suivre la démarche RSE sectorielle qui se structure sous l’égide de l’Ordre. L’institution va poursuivre ses actions de  sensibilisation en 2023 et approfondir sa réflexion grâce à la mise en place d’une commission compliance, pour prendre plus de hauteur encore. Le but ? Réfléchir aux moyens d’adhérer à des objectifs « monumentaux », comme la lutte contre le réchauffement climatique ou le respect des droits humains.

 

Certains géomètres-experts font face à des problèmes de recrutement. Que faites-vous, de votre côté, pour favoriser l’attractivité du métier ?

D. N. : J’ai mis en place des principes, disons, « généreux » qui me sont rendus au centuple. Cela passe par le fait d’accueillir chaque année des jeunes en classe de troisième, mais aussi des lycéens en bac pro, ou des étudiants en urbanisme, dans nos agences – les accueillir signifiant les mettre à l’aise, leur attribuer des tâches, les accompagner. Sur l’année, cela fait une quinzaine de jeunes, qui vont à la fin recevoir une petite indemnité. Dix ans plus tard, ces jeunes reviennent, et postulent, preuve que la démarche est pertinente. Il faut éviter à tout prix les déficits de personnel : ils entravent la performance individuelle des collaborateurs surchargés, et donc la performance globale.

 

Que préconisez-vous en matière de pratiques managériales, que l’on peut d’ailleurs inclure dans la RSE?

D. N. : Le système hiérarchique aujourd’hui a évolué. C’en est fini du chef d’entreprise intouchable, jamais disponible, qui ne se tient pas au courant des difficultés rencontrées par ses équipes.  Mieux vaut faire régulièrement le tour des collaborateurs, laisser sa porte ouverte, faciliter l’échange. Et la confiance s’installe. Il faut décloisonner les hiérarchies : partager les soucis, c’est bien souvent les résoudre plus vite.

Or, l’évolution des pratiques managériales a véritablement un effet sur le bilan d’une entreprise, n’oublions pas que dégager des bénéfices reste primordial. Ne pas en faire, c’est faire prendre un
risque considérable à l’ensemble des salariés, puisque c’est courir le risque d’un redressement ou d’un plan social. La bonne gestion du risque fait aussi partie de la RSE.

 

Quels seraient les prérequis avant d’officialiser une démarche (labellisation ou autre) ?

D. N. : Déjà, ne pas aller trop vite au risque de brûler les étapes. Pour moi, la RSE est d’abord une manière d’être avec l’autre, une façon de penser qu’il faut faire évoluer pour servir l’intérêt général. Il est absolument crucial d’instaurer ou réinstaurer la confiance dans l’entreprise, une symbiose entre dirigeant et collaborateurs. Pour ce faire, une entreprise doit bien sûr s’appuyer sur des résultats économiques, des bénéfices, une politique salariale dynamique et des investissements, en plus de la reconnaissance du travail bien fait et du bien-être au quotidien. Tous les  collaborateurs doivent se sentir accueillis et pouvoir travailler dans des conditions décentes grâce, notamment, à du bon matériel. C’est la base. Après quoi, on pourra mettre en place certaines démarches plus ambitieuses. Ensuite seulement viendra le temps de s’engager « à l’extérieur », pour certaines causes, en réemployant une partie des bénéfices. Et de le faire savoir pour renforcer son attractivité.

 

Vous prônez donc d’abord l’examen de conscience ?

D. N. : Oui, avant de communiquer sur l’extérieur, il faut balayer devant sa porte, éventuellement à l’aide d’un audit externe qui pointera ce qui ne va pas. Le dirigeant qui constate un fort turnover ou qui peine à recruter doit d’abord se demander si toutes les conditions sont vraiment réunies pour aller vers cette performance globale dont je parle.

 

Percevez-vous des réticences chez vos confrères ?

D. N. : Plutôt des interrogations. A ceux-là, la RSE a parfois été présentée comme un ensemble de démarches chronophages qui feraient perdre en productivité. Nommer quelqu’un qui organiserait
des réunions, cocherait des cases et remplirait des fiches tous azimuts, mais dans quel but ? C’est prendre les choses dans le mauvais sens, car il ne s’agit pas de contraintes au départ, mais de
démarches volontaires auxquelles il faut croire. Décrocher un label pour le brandir n’a pas beaucoup de sens. Evidemment, pour les marchés publics, ce sera un passage obligé. Mais attention au
« backlash » : il n’y a rien de pire que de revendiquer une étiquette à l’extérieur tout en ayant une image négative en interne.

 

Le mot de la fin ?

D. N. : Nos cabinets emploient dix personnes en moyenne. Ces personnes doivent « bien vivre » grâce à ce que leur apporte l’entreprise, pour ensuite faire bien vivre leur entourage et porter des valeurs qui rejailliront sur la société dans son ensemble. Pour alimenter ce cercle vertueux, il faut commencer par l’intérieur. Convaincre 1 860 géomètres-experts de mettre en place la RSE dans
leur structure, c’est bien, mais insuffisant : il faut engager les 10000 personnes qui y travaillent, pour que nous soyons quelque 12 000 individus à porter le projet. Le label peut être un moyen supplémentaire pour y parvenir. Pas une fin.

Gardons à l’esprit que changer les choses prend du temps : c’est un engagement du quotidien, sur plusieurs années, si l’on veut des solutions efficaces qui fassent évoluer la société tout en pérennisant les effectifs de nos entreprises. Continuons à faire preuve d’humilité dans le travail, sans renoncer à nos ambitions !

(1) Le 46e congrès de l’Ordre des géomètres-experts s’est déroulé au Havre du 13 au 15 septembre 2022. Lire notre numéro spécial, Géomètre n° 2206, octobre 2022.