Depuis une dizaine d’années, la responsabilité sociétale des entreprises s’impose dans les débats stratégiques des sociétés comme des organisations professionnelles. Et si son appropriation a été plus immédiate dans certaines filières que dans d’autres, tout le monde est aujourd’hui concerné, des multinationales jusqu’aux microstructures. Les géomètres-experts, « garants d’un cadre de vie durable » selon le slogan de la profession, ne font pas exception.

CATHY REULIER pour l’UNGE

 

Certains « font » de la RSE depuis longtemps sans le savoir. D’autres s’y attellent d’autant plus naturellement que l’éventail d’activités en lien avec la transition numérique et  environnementale s’élargit. Les « indifférents » se font de plus en plus rares. La question n’est plus de savoir s’il faut engager des démarches RSE mais de comprendre pourquoi on le fait, comment, avec quels outils d’accompagnement. Et en quoi elle est bel et bien un levier d’attractivité.

 

De quoi parle-t-on ?

Selon une première définition de la Commission européenne, la responsabilité sociétale – ou « sociale », on trouve les deux termes – d’une entreprise a d’abord été décrite comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes » (on parle aussi de RSO pour  responsabilité sociétale des organisations).

Autrement dit, c’est la contribution volontaire des entreprises et organisations aux enjeux du développement durable au-delà des obligations juridiques qui leur incombent – le mot « volontaire » étant important, bien qu’il soit aujourd’hui à nuancer.

Qu’entend-on par parties prenantes ? Collaborateurs, clients, consommateurs, fournisseurs, partenaires bancaires, collectivités locales, pouvoirs publics, etc. : tous les acteurs, en somme, qui  interagissent avec l’entreprise.

Les démarches RSE s’inscrivent dans un schéma gagnant-gagnant : pour l’entreprise, pour tout individu en interaction avec elle et, plus largement, pour la société dans son ensemble, pour ne pas
dire carrément la planète. La définition a d’ailleurs évolué en 2011 : la RSE est devenue « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Plus concis, plus  direct. Plus responsabilisant.

Longtemps, le caractère incitatif de la RSE l’a associée au concept de soft law, ou « droit mou ». Sauf que, reconnue à présent comme une nécessité, la RSE tend à « muscler » son volet juridique. Par capillarité, ces obligations qui touchent d’abord les grandes entreprises vont vraisemblablement se répercuter sur les petites structures – même si la loi ne les y oblige pas encore – en raison d’un lien de sous-traitance avec les premières, par exemple. Alors comment est-on passé du stade de la sensibilisation à des mesures plus contraignantes ?

 

L’histoire en bref…

En 1953 déjà, l’ouvrage Social responsabilities of the businessman, de Howard Bowen, définissait la RSE comme une « discipline transversale du management ». L’auteur s’efforçait d’apporter une réponse à cette question qui résonnera particulièrement aux oreilles des géomètres-experts : comment contrôler et réguler l’entreprise privée dans le sens de l’intérêt public ? Quatre mécanismes ont alors été énoncés : la concurrence, la régulation publique, l’effet des « contrepouvoirs » tels que les organisations syndicales ou de consommateurs, et l’autorégulation.

Quatre axes que devait permettre d’articuler la RSE, concept qui s’est affiné au fil des décennies.  A émergé une double prise de conscience dans la société civile : environnementale et éthique. En  1976, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) adressait ses recommandations aux multinationales pour les inciter à adopter un comportement responsable dans leurs activités. En 1987, le rapport Brundtland, « Notre avenir à tous », publié par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies, définissait la politique
nécessaire pour parvenir à un « développement durable ». Un ensemble d’actes et d’événements ont continué de façonner le concept de RSE. Parmi les jalons clés, on retiendra le sommet de Rio en 1992, le pacte mondial des Nations Unies en 2000, la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) promulguée en 2001. Cette même année, l’OCDE publiait son premier rapport sur les instruments généraux pour assurer la responsabilité des entreprises. Et la France posait les fondements du cadre réglementaire de la RSE, renforcés plus tard avec les lois Grenelle I et II.

En 2010 est créée la norme Iso 26000, non contraignante, dont le texte conceptualise la RSE comme « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société ».

 

Plus récemment

Dix-sept objectifs de développement durable ont été énoncés par l’ONU en 2015, avec pour finalité l’éradication de la pauvreté ou la lutte contre le changement climatique. La loi sur le devoir de vigilance de 2017 prévoit quant à elle l’obligation pour les entreprises d’empêcher les risques sociaux, environnementaux et les risques de gouvernance liés à leurs activités, à celles de leurs filiales  et partenaires commerciaux. La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) de 2019 a renforcé la RSE avec de nouvelles dispositions visant notamment la prise en  compte des considérations sociales et environnementales dans la définition de leur objet social : les entreprises peuvent dorénavant se doter d’une « raison d’être » et obtenir la qualité de société à mission.

 

Transparence

Si, en soi, aucune obligation légale n’impose à ce jour de standards de performance à respecter en matière de RSE, les obligations se ressentent davantage en termes de transparence, avec par exemple le reporting extra financier imposé par les lois Grenelle. Fin 2022, le Conseil de l’Union européenne a donné son feu vert pour renforcer ce volet par la mise en place de la CSRD(1), qui impose à un plus grand nombre d’entreprises de publier leur performance ESG (environnement, social, gouvernance). Emissions de CO2, consommation d’eau, recyclage des déchets ou  pourcentage de salariés seniors font partie des indicateurs évalués.

Ces dix dernières années, la RSE a gagné en influence pour devenir un parti-pris stratégique. Car, en marge de ses aspects éthiques et sociétaux, elle affecte de plus en plus les performances économiques des structures. Pour beaucoup, il ne s’agit plus seulement de rester dans la légalité mais de s’imposer sur le marché.

(1) Corporate sustainability reporting directive

 

La RSE à l’échelle des géomètres-experts

Labels, labels sectoriels, certification ?

Il va sans dire que les impacts – environnementaux, par exemple – des géomètres-experts et des grands groupes industriels ne sont pas comparables. Chaque secteur d’activité possède des enjeux RSE qui lui sont propres. C’est pourquoi Guillaume de Bodard, président de la commission environnement et développement durable de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), affirme que cette dernière « encourage les labels RSE sectoriels, délivrés par une tierce partie. Les PME ont tout intérêt à mutualiser le sujet en passant par une organisation  professionnelle. La réflexion sur la RSE y est plus complète mais aussi plus adaptée, avec l’écriture de référentiels, cahiers des charges ou guides s’appuyant sur la norme Iso 26000 afin de répertorier tout ce qui doit être fait. La réalité des actions est attestée par des organismes tiers, en qualité d’évaluateur ».

Une initiative soutenue par la Plateforme RSE de France Stratégie qui réunit l’ensemble des parties prenantes. Objectif : accélérer l’appropriation de la RSE au niveau des filières pour que les entreprises s’en emparent plus facilement. « Il s’agit d’abord de répondre aux demandes des clients, poursuit Guillaume de Bodard. De plus en plus de donneurs d’ordre envoient des questionnaires de démarches RSE, il faut donc montrer patte blanche. Et plutôt que de se voir imposer des réglementations à terme, les fédérations professionnelles prennent le parti de les  anticiper. »

Où en est-on aujourd’hui ? « Il y a deux faiblesses pour le moment dans les démarches de labels sectoriels : les pouvoirs publics, malgré l’intérêt du sujet, ne se sont pas encore complètement emparés du sujet. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont commis des rapports sur la RSE mais l’appui des pouvoirs publics est encore trop timide. Deuxième frein : les donneurs d’ordre privés, les grands groupes notamment, envoient leur questionnaire RSE mais, au moment du choix final, reviennent sur le prix. On est donc encore en “ moins-disance ” RSE alors que nous visons la “ mieux-disance ”. La reconnaissance par le marché doit s’améliorer. » Gageons que l’on y viendra.

 

La démarche sectorielle de l’Ordre

L’OGE, lors du congrès du Havre en septembre 2022, a annoncé sa démarche sectorielle. Objectif : inciter les géomètres-experts à prendre le virage de la RSE pour accroître leur performance, leur productivité et la pérennité de leurs entreprises. Dans Le Moniteur du 7 avril 2022, Joseph Pascual, président du Conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts, affirmait être convaincu que la sensibilisation des géomètres-experts à la RSE ne pouvait qu’être bénéfique à leur performance : « Nous ne parlons pas là que d’économie mais de performance globale et donc de tout ce qui va du bien-être des salariés jusqu’au travail des cabinets en bonne harmonie avec leur territoire. Nous invitons par exemple nos confrères à prendre le statut de société à mission. Ils se positionneront ainsi comme des entreprises dont l’activité se met au service d’objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux ».

 

Dossier rédigé par Ambroise Bouteille pour l’UNGE.
Dossier publié dans le mensuel Géomètre n° 2210, février 2023