Recruter, compléter des équipes parfois débordées, éviter que les jeunes fraîchement diplômés ne cèdent aux sirènes de grands groupes de travaux publics, former davantage de techniciens, d’assistants d’opérations foncières… Selon Pôle emploi, 2 130 postes seraient vacants dans les 1 800 cabinets de géomètres-experts.

L’Union nationale des géomètres-experts (UNGE) préconise de mieux faire connaître le métier, qui souffre d’un déficit de notoriété. Chacun peut prendre son bâton de pèlerin localement, intervenir dans les collèges et lycées, accueillir des stagiaires, participer à des journées portes ouvertes… Des pistes pour dynamiser le recrutement sont énumérées, ainsi que la liste des formations existantes, plus longue qu’on ne le pense.

Régis Lambert, président d’honneur de l’UNGE, invite à dépasser ces préjugés et prendre des risques dans le recrutement.
David Nicolas, rapporteur du 46e congrès de l’OGE, insiste sur la confiance et la symbiose nécessaires entre dirigeants et salariés. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) se pose en pivot pour faire face aux enjeux d’aujourd’hui, incluant le recrutement.

17 % des postes ne sont pas pourvus dans les cabinets de géomètres-experts. Pourtant, les métiers présentent de vrais atouts, qui se heurtent à des freins : déficit de notoriété, flux d’élèves dans les formations spécialisées en baisse, manque d’enseignants… Mais des pistes d’ouverture se dessinent.

Ambroise Bouteille pour l’UNGE

Dans un environnement qui ne cesse de muter et de se complexifier, les compétences des équipes sont la clé de l’adaptation et de la performance des entreprises. Or, les évolutions continues de l’économie, des technologies, de la réglementation, les tendances sociétales imposent un renouvellement régulier de ces compétences. La profession des géomètres-experts est particulièrement exposée à ces changements. Certes, elle n’est pas la seule à vivre des mutations importantes de ses conditions d’activité. Mais son défi particulier est d’avoir à mener ces adaptations dans plusieurs domaines de front. Ses outils, en premier lieu : de nouveaux matériels d’acquisition de données à forte composante technologique et des évolutions rapides des logiciels de traitement des données  géographiques.

La réglementation, ensuite : un renforcement drastique des contraintes environnementales, pour ne citer que cette thématique emblématique. L’économique, enfin : une  diversification des clients et une augmentation de leurs exigences ; l’élargissement du périmètre des projets d’urbanisme et amé nagement ; l’hyperspécialisation du foncier, etc.

Pour acquérir ces nouvelles compétences, deux solutions : la formation des collaborateurs et le recrutement de nouveaux profils. La profession est plutôt bien positionnée en matière de stages de perfectionnement pour ses équipes, d’autant que de nouveaux outils sont en cours de mise en place dans la branche. En revanche, elle est confrontée à un sérieux problème en matière de recrutement. L’enquête « Besoin de main-d’œuvre » de Pôle emploi révélait que « géomètre » était le troisième métier français dont les projets de recrutement étaient jugés les plus difficiles. En
2022, cette même enquête identifiait 2 130 postes non pourvus. C’est faible au regard de l’ensemble de l’économie française. C’est considérable pour la profession : 17 % des emplois sont vacants ! Une perte sèche d’activité pour les géomètres-experts, qui cherchent à honorer des demandes de clients et plus largement à bénéficier d’opportunités de croissance. Comment expliquer ce problème ? Comment le surmonter ?

 

Des atouts enviables

Il est d’usage dans de nombreux secteurs de se plaindre de l’attractivité de ses métiers. Les regrets d’un géomètre-expert en la matière pourraient pourtant faire sourire un recruteur du BTP, de la santé ou de l’hôtellerie-restauration… Ils ne sont en effet pas si nombreux les métiers qui, comme ceux des géomètres-experts, peuvent se targuer :

– de thématiques intéressantes, valorisantes, porteuses de sens, au plus près des attentes sociétales les plus actuelles, car elles portent sur l’aménagement du territoire, l’environnement, le  logement, et apportent ainsi certaines réponses concrètes aux préoccupations du développement durable et du « vivre ensemble»;
– de l’usage d’instruments et de logiciels à forte composante technologique, à la pointe du progrès numérique, tout en n’étant pas la seule composante d’un métier qui pourrait être sinon perçu comme « geek»;
– d’une profession dont l’activité et la haute technicité sont officiellement reconnues par la présence d’un ordre et de plusieurs diplômes totalement dédiés, qui prouvent l’existence d’un « vrai
métier » et sa durabilité ;
– d’une grande diversité de missions et de types de clients, du fait du processus de diversification de la profession, réduisant les risques de répétitivité et de saturation des collaborateurs ; et,
dans certaines structures, d’un enrichissement par l’intégration au sein d’équipes pluridisciplinaires ;
– d’une combinaison de tâches en extérieur et en intérieur, permettant de profiter des avantages de ces deux conditions de travail sans aller jusqu’à l’usure ; des déplacements proches évitant les
temps de trajet importants ou les découchés, du fait du bassin d’intervention relativement condensé des cabinets ;
– des contrats favorables, très majoritairement à durée indéterminée (95 % contre 91 % en moyenne nationale) et à temps plein (87 % contre 79%);
– des rémunérations honorables, quoique peut-être un peu insuffisantes dans le cadre de la concurrence des meilleurs profils qui s’ouvre avec le retour global à l’emploi (notamment dans les bassins de grandes agglomérations dynamiques).

 

Mais aussi des freins

Pour autant, ces atouts ne sont clairement pas suffisants. En effet, plusieurs freins nuisent à cette attractivité.
Le premier est la méconnaissance des métiers. Elle frappe les jeunes bien sûr, mais aussi ceux qui sont là pour les assister dans leur choix, à savoir les familles et les acteurs de l’orientation. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, car la profession, quoique de taille honorable (12 400 salariés aux quels s’ajoutent les géomètres-experts non salariés), ne représente que 0,07% de l’emploi privé.
Ces métiers ne sont pas simples à faire comprendre. Et on ne les croise pas tous les jours ! « Le métier de géomètre n’est pas connoté négativement, toutes les enquêtes le démontrent », affirme Laurent Morel, directeur de l’Ecole supérieure des géomètres et topographes (ESGT, Cnam). « Seulement il n’est pas connu, notamment dans la diversité des activités qu’il offre.»

En conséquence, les flux d’élèves dans les formations spécialisées sont insuffisants. Le bac professionnel technicien géomètre-topographe n’avait plus que 443 élèves en dernière année en 2021,
soit encore 4,3% de baisse par rapport à l’année précédente. Le BTS métiers du géomètre-topographe et de la modélisation numérique (MGTMN) se présente mieux. Après avoir plafonné à quelque 500 élèves pendant des années, il atteint maintenant 628 étudiants (+9% cette dernière année). « On traîne encore le stéréotype éculé du technicien en train de prendre des mesures au bord de la route », nuance Emmanuel Simon-Barboux, géomètre-expert à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), « alors que nos marchés sont totalement diversifiés au-delà des travaux publics, avec  l’immobilier, l’urbanisme, l’aménagement. Il nous faut le faire savoir, y compris auprès des pouvoirs publics ! »

Mais que pèsent ces effectifs face aux volumes demandés, qui se chiffrent en  milliers ? D’autant que tous ne rejoignent pas les entreprises de géomètres-experts. Une partie s’oriente vers une poursuite d’études. « Il est logique que les jeunes de bon profil s’intéressent aux licences professionnelles », souligne Sophia Czernic, inspectrice de l’Education nationale. « Tout l’enjeu est de parvenir à les fidéliser dans la branche. » Une autre partie des jeunes va être captée par d’autres secteurs employeurs. « Les entreprises de travaux publics sont très présentes dans les filières de BTS. Elles nous soustraient une bonne partie des élèves à la sortie », constate Wilfried Maduli, géomètre-expert à Morestel (Isère). « Ce n’est même pas nécessairement une question de salaire », précise-t-il. « Les jeunes sont aussi en attente d’un nom, d’un logo qui les rassure, de petits avantages que des entreprises de plus grande taille sont plus à même d’offrir. »

 

Un manque d’enseignants

La présence insuffisante de jeunes n’est pas la seule cause des faibles effectifs : on manque aussi d’enseignants ! « Au point qu’on refuse des jeunes en BTS », regrette Gérard Marthouret, responsable de pôle à la SEPR, un des tout premiers organismes de formation professionnelle en Auvergne-Rhône-Alpes. L’Education nationale est la toute première concernée. « Le métier d’enseignant, on le sait, souffre partout d’une désaffection », remarque Vincent Montreuil, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche. « Mais la spécialité géomètre-topographe  est confrontée à des difficultés supplémentaires. » En cause, le faible effectif global. Il empêche la mise en place de formations spécialisées en topographie pour les enseignants, il réduit la  fréquence des concours d’enseignants, il ne dote pas la filière d’une notoriété suffisante en interne. Ainsi, l’affectation des professeurs sur les postes nécessite un suivi fin des compétences des personnels qui y sont affectés. Pas assez de jeunes formés sur le marché du travail, sans grand espoir d’amélioration rapide ; alors, tout est perdu ? « Certainement pas ! », s’exclame Hervé Jouanneau, responsable du département conseil en formation à la direction générale de Pôle emploi. « Le métier de technicien géomètre est très adapté à la reconversion. On voit une bonne
ouverture en termes de prérequis dans vos offres d’emploi, autour du bac+2. C’est un gage de réussite dès lors qu’on accompagne ensuite les recrutés. Les offres d’emploi qu’on voit passer sont de bonne qualité, avec une forte proportion de CDI et des salaires tout à fait convenables au regard du niveau requis. »

Malheureusement, « recruter un demandeur d’emploi, ça n’était pas un réflexe dans la profession », constate Cécile Taffin, présidente de l’Union nationale des géomètres-experts (UNGE). « Pourtant les échos de ceux qui l’ont fait sont très positifs : la motivation, la maturité sont au rendez-vous. Et la formation est là pour leur donner les dernières compétences. Nos entreprises sont 
également en attente d’outils opérationnels, interlocuteurs dédiés, procédures claires, etc. Il fallait qu’on se mobilise pour cela. Nous avons lancé en 2022 une stratégie formation offensive : des formations, des réseaux d’interlocuteurs, des financements, de la promotion de nos métiers. »

 

Dossier rédigé par Ambroise Bouteille pour l’UNGE.
Dossier publié dans le mensuel Géomètre n° 2210, février 2023